vendredi 26 octobre 2018

Une lettre caustique de l'ami le Dr Pinet. 25/10/1918. N°287

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Santé (écrit en travers en haut à gauche par le docteur Chassaing)

Aux armées le 25 octobre 1918

Mon cher Eugène

Il y a plus de six mois que je ne t'ai écrit. La raison : tu ne réponds jamais ; car je n'appelle pas réponse quel papier dactylographiée grâce auxquelles dans les ministères on se débarrasse poliment (?) 'un importun.

Je m'étais donc décidé à ne rien te demander puisque aussi bien il est aujourd'hui démontré que les députés emploient toute leur influence en faveur des embusqués de l'arrière et ne s'occupent pas de savoir si à l'avant, la logique et la loi sont observées ; si les officiers (les médecins en particulier) sont placés là où leur âge et leurs services antérieures le commandent ; si les chefs n'outrepassent pas leurs droits etc.… Nos législateurs n'est-ce pas ont bien d'autres soucis : ils guerroient dans la dentelle ou s'enrichissent





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dans les fournitures militaires ou la spéculation quand ils ne font pas les deux à la fois - et toi tu planes dans l'éther azuré où, je l'espère, la grippe fatale n'ira pas te saisir. Nous, nous vivons dans l'atmosphère des congestions, bronchites, pneumonies, bronchopneumonies etc.… nous les soignons sous des tentes sans poêles dans des baraques recouvertes de tôle ondulée, dans des lits sans draps ou sur des brancards matelassés de couvertures pouilleuses (5ème année de guerre ! ! ! Il y a progrès comme tu vois) pas de linge de rechange, bien entendu et pour infirmiers quelques vieux croûtons ou quelques auxis paresseux comme loirs ou stupides comme ignorantins. Ça va ça va. Nous obtenons, au reste, de très bons résultats…  c'est le triomphe de la nature médicatrice. Aucun, de mes intransportables n'est encore passé de vie à trépas.

Mais revenons à nos moutons. Y a-t-il des règles aux armées ou n'y en a-t-il pas? Sommes-nous soumis comme esclaves à la fantaisie d'un chef quelle que soit cette fantaisie, quelles que ce soit ce chef ? Ou peut-on invoquer pour sa défense des règles, des lois, des règlements tutélaires ?


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C'est la question que je veux te poser - prenons un exemple concret : j'ai 43 ans et je suis dans une ambulance divisionnaire. Est-ce ma place ? Ne devrais-je pas être versé dans une formation des E.N.E. ou rappelé à l'intérieur ? Le s/s secrétariat du S Sé (service de santé) a-t-il mis en application des circulaires ou a-t-il donné des ordres pour qu'il soit tenu compte de l'âge des médecins et de leur ancienneté ( j'ai 3 ans après demain) lors de l'affectation?

Un médecin divisionnaire peut-il affecter comme bon lui semble (par délégation du Général) les médecins placés sous ses ordres?

Je te prie de vouloir bien donner à ces questions précises des réponses précises. En te documentant aux s/s du service de santé tu pourras me renseigner de façon exacte. Si même tu peux m'envoyer les décisions qui ont été prises à ce sujet, ce sera parfait.

Si je viens t'importuner à ce sujet c'est parce que nous avons reçu aujourd'hui même la note ci-jointe signée d'une baderne à 4 galons qui, dès sa venue, prétend tout chambouler, (il confond agitation avec activité) et nous oblige à lui confesser nos misères physiques.
Tout cela pour ne pas demander de médecin à l'intérieur où tant de jeunes se la coule douce (viande protégée difficile

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dégeler!). Cela aussi pour lui permettre de placer aux bons endroits ses protégés et au mauvais ses victimes. Il importe au plus haut point que nous soyons fixés sur les droits de ce potentat - à peu près unique de son espèce – et aussi sur les nôtres – je compte sur toi pour cette besogne nécessaire –

D'autres part Devilar t'a peut-être parlé de ma 4ème proposition pour la L d' H. Je lui ai envoyé le texte de cette proposition qui me serait particulièrement agréable de voir aboutir - je ne t'en dis pas davantage : tu sais si tu peux et si tu veux tenter quelque chose…

Et maintenant bonsoir et bonne santé – je compte sur une réponse nette et profonde. Dem… de – toi n.d.D. On commence ici à être rudement sous pression et les brimades nous horripilent plus que jamais.

Je te serre la main.

Cordialement et je vais me coucher sur mon treillis

Ton vieux
 Denis
Ambce 10/18 secteur 146

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