PROJET DE LOI CONTRE LA PAPERASSE, 29 janvier 1916
Lettre transcrite par JP Chassaing le 21 mai 2012 et original numérisé et stocké aux Archives du Conseil Général du Puy-de-Dôme
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PROJET de LOI CONTRE LA PAPERASSERIE.
date 29 janvier 1916,incertaine à 1 jour
près.
PROJET DE LOI
Dans son discours du 28
janvier Monsieur le Ministre de la Guerre a stigmatisé comme il convenait les
excès de la paperasserie militaire. Son réquisitoire résume les conclusions des
mille rapports traitant depuis plus d’un an du danger qu’il y a pour la
défense nationale à ne pas mettre un frein au flot toujours croissant de la
routine bureaucratique – et cependant, à considérer encore les différents
rouages de la grande machine administrative, on constate bien vite qu’elle se
complique chaque jour davantage.
Les paroles passent, les
bureaux restent.
Une solution théorique du
problème de la complication des écritures militaires n’est pas la solution
pratique. Et c’est à vouloir réaliser pratiquement cette réorganisation
administrative qu’abandonnant toutes les formules faites seulement de mots et
de phrases nous sommes assurés à (?)
P2 déposer le projet de loi suivant :
- Son article unique pourra
paraître un peu brutal. A l’examen on lui reconnaitra une certaine logique, il
dérive de ce principe : Réduisez préalablement les auteurs, vous réduirez
par ce seul fait les formalités administratives. En matière de paperasserie
militaire ce n’est pas la fonction qui crée l’organe mais l’organe qui crée la
fonction.
Eloignés le la tranchée,
attachés à leur quiète situation trop souvent les militaires employés aux
services des bureaux, mûs par la nécessité de justifier leur utilité ou leur
présence s’ingénient à se créer de nouvelles tâches.
Réduites de moitié, sans
consultation préalable de commissions (les commissions de réorganisation ont le
talent d’excuser, de
P3 couvrir même toutes les erreurs et d’ajouter encore aux
formalités administratives déjà existantes), stimulés par les responsabilités
qui devront leur incomber, mais aussi par les perspectives de récompenses
(d’ordre pécuniaire ou d’avancement) qui leur seront ménagées, ils auront vite
fait de distinguer entre les réformes à apporter à leurs services respectifs.
Il importera, évidemment, que les initiatives restent libres de se développer
sous le contrôle des chefs de services (hommes nouveaux, s’il est nécessaire)
et la réorganisation espérée cessera de figurer au seul répertoire de la
tribune pour s’inscrire au chapitre des réalisations
- Deux exemples choisis au
hasard entre mille suffiront à justifier notre thèse.
- L’un, nous fut exposé jadis
dans le journal par Mr Charles Humbert. Il s’agissait d’une note du
sous-secrétariat de l’artillerie à transmettre à une
P4 unité du front. Nous avons
suivi cette note dans ses longues pérégrinations, cheminant de quartiers
généraux en quartiers généraux, pour faire retour après 3 mois à son auteur,
apportant la seule certitude d’une organisation complète des bureaux, dites des
courriers, dans la zone des armées.
Actuellement, en ces bureaux il
n’est point de pièce, même du plus insignifiant intérêt, qui n’ait aux
volumineux registres des entrées et des sorties son numéro d’ordre et son
enregistrement spécial ; et comment s’étonner qu’une si formidable besogne
absorbe une multitude d’officiers et de secrétaires quand l’on connaitra que
les pièces ou télégrammes reçus se chiffrent par milliers chaque jour.
L’étonnement fait place à
l’effroi quand l’on considère que ces registres doivent être en principe parmi les plus précieuses archives de la grande guerre. Ils
P5 constituent en effet le
répertoire où l’on se reportera pour retrouver la trace de tous les documents
militaires et les authentifier. Et, devant l’historien découragé, ils
n’apparaitront que comme un fatras d’inutilités où tel télégramme historique
sera perdu entre mille notes insipides.
- Il n’est qu’un remède au
mal : réduire dans de notables proportions tout le personnel des bureaux
du courrier.
Le chef responsable resté avec
un ou deux secrétaires arrêtera net la course au numéro d’ordre et à
l’enregistrement ne retenant pour ses registres que les pièces d’intérêt
nettement historique. Les archives y gagneront un peu plus de clarté et les
transmissions un peu plus de rapidité.
Autre exemple de réforme
pratique obtenu par la réduction préalable du nombre des employés des
P6 services
des bureaux.
Une circulaire récente vient
de prescrire que tous les officiers de réserve devront adresser une fiche de
renseignement sur leur désir d’être maintenu dans la réserve ou de passer dans
l’armée territoriale, fiches prévues par les règlements d’avant-guerre. Ces
pièces encombrent à cette heure par milliers les différents bureaux des états-majors
et vont se déverser en flots puissants au ministère de la guerre.
Il est cependant à penser que
l’auteur de cette circulaire ne devait pas ignorer la loi du 4 aout 1914 qui ne
distingue plus, pour les officiers, entre la réserve et la territoriale ;
mais l’on peut admettre que son initiative eut pour seule cause, l’occasion, en
présence d’une tâche qui paraissait trop réduite pour son état-major de
scribes,
P7 de créer un peu de besogne nouvelle à ses indispensables bureaux.
Réduisons donc immédiatement le
personnel des bureaux, sans souci des quelques heurts des premiers jours, tel
est l’objet de notre projet de loi.
ARTICLE UNIQUE
Dans
les deux jours qui suivront la promulgation de la présente loi et dans le jour (?) des armées comme à
l’intérieur du territoire, de tous les militaires, sans aucune exception de classe,
de catégories, de grades ou d’affectations, employés à des services de bureaux,
la moitié cessera ses fonctions. L’autre moitié devra assurer sous sa
responsabilité, mais avec l’initiative de toutes les réformes possibles, la
bonne marche de tous les services qui lui resteront confiés.
Le
Ministre de la Guerre est, à cette date, le Maréchal Joseph Simon GALLIENI, né
le 24/4/1849 et décédé le 27/5/1916, peu après ce projet de loi, suite à
une opération de résection de la prostate (chirurgien Georges LUYS, ami du Dr Chassaing). Ce projet de loi a été probablement
initié par Georges CLÉMENCEAU , sénateur et président de la Comission de
l’Armée, et qui deviendra Premier Ministre le 16 nov 1917. A la date du projet
c’était Aristide BRIAND le premier ministre, du 29/10/1915 au 17/3/1917.