28 avril 1918
Terrible lettre, pourtant pleine de poésie.
Sur une carte lettre de publicité pour les pneus Bergougnan,
le dr Denis Pinet, Grand ami du Docteur Chassaing, se livre.
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Frontière belge le 28 avril 1918
Tu t'imagines, ô candide représentant, que je
surveille en quelque bois meusien la naissance de ce
printemps tardif - et tu me vois déambulant sous
la futaie à la recherche des nids comme du temps
béni où la moustache n'était point venue et où
j'habitais à l'Auvergne ! – Il s'agit bien de cela,
incorrigible Eliacin - nous sommes les rebouteux
des derniers gardiens des Monts; et il en faut des gardiens
et ils ont du travail les rebouteux ! Casés dans un
presbytère dont le jardinet a connu ce matin l'honneur
d'un 150, nous piquons, réemballons et ravigotons
les pauvres capotes bleues venues en suppléance du
britannique déficitaire - Belle et noble besogne que
de sauver quelques vaillants, mais combien ardue et
combien périlleuse! Ma (la?) cave devient notre habitacle et le
vent du boulet notre musique. Car si les monts
gardent l'accès de la grande bleue septentrionale, ils
laissent passer les dragées d'Hindenbourg - et les hommes
sont déchiquetés et les villages s'écroulent ou flambent.
« Jusqu'au bout » crie, hurle, vocifère la meute des pantouflards
et des fabricants de camelote guerrière. « Jusqu'au bout » dit
nerveusement le vieillard de France et d'Angleterre ! Et le
plus (illis) par le sang de la Race ensemencent les sillons de la mort. Il y aura
beaucoup de gloire pour les Héros trépassés et beaucoup d'or pour
les mercantis de la Patrie. Nous attendons le linceul. Que la
conscience des Elus s'éveille enfin et ose dire : Lâche Albion, c'en
est assez!
Salut et fraternité
Denis
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